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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Recueil éthérique

Poésies d’Ombre pâle

 

Un recueil de poèmes de Rémi Mogenet Ó Le Tour 2007



J’ai mis à profit les vacances d’hiver pour faire un peu décroître la pile de livres à lire qui s’accumulent depuis août sur ma table de chevet. Parmi ceux-ci, j’ai donné ma préférence à ce recueil fort aimablement envoyé fourni par l’auteur lui-même, frissonnant par anticipation du plaisir si subtil qu’on peut ressentir à la lecture d’un poème, loisir qui ne fait pas partie de mes habituels si ce n’est en visitant les blogs de quelques poétesses du net.

 

Au fur et à mesure que je m’avançais dans l’ouvrage, deux choses me frappaient. Tout d’abord, la forme adoptée, le sonnet, me renvoyait à ces heures où, collégien, voire lycéen, je m’escrimais à trouver un sens à des tournures quelquefois absconses produites par les grands papes de la poésie française. Il y a une élégance un peu désuète dans ces deux quatrains suivis de deux tercets, comme le rappel d’une Etiquette littéraire à laquelle il était nécessaire de se conformer. De fait, le sonnet est aussi rassurant que déstabilisant. Chez M. Mogenet (connu par ailleurs sous le pseudonyme de Ramiel de Saint-Genys), il contribue à renforcer le goût pour l’inconnu et entretient le mystère (dirait-on le suspense ?) par ses fins abruptes qui ouvrent sur de nombreuses perspectives. Car, et c’est l’autre détail que j’ai relevé dès les premiers textes, l’auteur nous livre des visions d’un univers profondément référentiel où l’on relève à profusion des indices menant autant à la mythologie qu’à la littérature de SF.

 

C’est que, loin d’engourdir l’intellect du lecteur, ses poèmes, par le biais d’une langue ciselée avec passion et rigueur, sont beaucoup plus accessibles qu’on pourrait le croire, tout en conservant cette once de lyrisme symbolique propre au genre. Les rimes sont riches, les structures méthodiques : l’emphase du vocabulaire se trouve à juste titre maîtrisée par la précision de la métrique (encore que je sois un profane absolu en la matière). Du coup, les thèmes abordés, où les anciens dieux peuplent la Terre de créatures mythiques, se laissent-ils dévoiler avec autant de déférence que de placidité, comme si l’on lisait le compte-rendu circonstancié d’un observateur muet de stupeur, conscient de sa petitesse et amoureux de l’Art.

 

Le titre de l’ouvrage ne me semble, ainsi, pas innocent : le discord patent entre « ombre » et « pâle »  est un élément récurrent qui se retrouve dans l’association antagoniste « ange » et « démon » comme dans l’expression « démons ombrés d’or » qu’on trouve dans un des Sonnets d’Apocalypse. Autre exemple, dans les Croisades de Byzance, les « héros » et les « preux » se retrouvent-ils bien vite confrontés aux « serviteurs de l’Ombre » et autres « monstres obscurs ». Et on assiste souvent à une alternance de visions de « voûte étoilée » par opposition au « sol mort » que foulent les pauvres mortels.

 

Est-ce à dire que le recueil traite essentiellement de résurgences de la mythologie gréco-romaine ? Non pas, même si elle apparaît comme la source de nombreuses références : les Titans sont expressément mentionnés dans le Port de montagne, et l’on peut sans peine reconnaître Prométhée dans d’autres vers ; mieux, un poème entier est consacré aux athlètes helléniques (l’Athlète en action). Quant à cette Araignée de l’enfer, si elle rappelle furieusement la créature qui manque abattre Frodon dans les Deux Tours, elle renvoie également aux Parques qui tissent (et coupent) les fils de la destinée de chacun – étrangement, j’y ai vu aussi comme un écho à cette histoire de Thorgal (Au-delà des ombres, de Rosinski et Van Hamme) où il se trouve face à l’être qui régit les existences de tous, dans un lieu sombre et infini parcouru de milliards de fils que tranchent des anges aveugles.

 

De la même manière, j’ai cru ainsi déceler des clins d’œil, parfois appuyés, à d’autres mythologies comme aux sagas celtiques : le Refuge de l’Emeraude n’évoque-t-il pas Merlin et Avalon ? Plus singulier, le Dragon & l’Améthyste use d’un vocabulaire et d’une iconographie qu’on jurerait tirés du cycle d’Elric de Moorcock ; d’ailleurs, deux autres poèmes sur la Nature font appel aux Elémentaires (sylphes, ondines, gnomes et autres salamandres) bien connus des amateurs de jeux de rôles d’heroic fantasy. Le Retour des vieux rois est plus singulier, qui s’appuie sur les prophéties dont je vous donne parfois quelques exemples, prophéties qui elles-mêmes s’inscrivent dans l’appréhension de l’Histoire sous la forme de grands cycles se répétant indéfiniment, comme celui du passage des anciens dieux au culte d’un nouveau (et là encore, les légendes arthuriennes repointent le bout de leur nez).

 

Au travers de ces sonnets qui voient défiler les éons, les héros ponctuent le Temps qui scande leurs exploits : c’est un peu leur geste que chante Rémi Mogenet, les décrivant parés d’attributs quasi-divins, de véritables « seigneurs de lumière » (cf. le très beau roman du homonyme de Roger Zelazny) défiant l’Ombre et l’Inconnu. Dans cette tâche insensée, ils se savent aidés par une entité voilée, brumeuse, qui sait pourtant se nimber d’or et se révéler avant de se retirer du monde : c’est cet Ange qui hante presque chaque poème, tour à tour Lucifer cultivant sa déchéance ou Agent des dieux (voir le 3e Sonnet d’Apocalypse : cet « aigle d’or » à l’aile « de flamme », ce « phénix était aussi un ange »).

 

Et soudain, page 36, surgit la science-fiction : ces Visions interstellaires puis ce Berceau des astres véhiculent des images que ne renierait pas Arthur C. Clarke ; et on s’aperçoit que, de fait, les Chevaliers Jedi ne sont pas si loin que ça des héros de ces autres croisades terrestres (cf. la Guerre des étoiles, p. 49). Une SF haute en couleurs, plus proche des grandes épopées et du space opera d’Edmond Hamilton que des anticipations futuristes politisées et pessimistes. Toutefois, pour coller au hiatus du titre, l’auteur n’oublie pas ceux qui se meuvent dans les profondeurs de la terre ou de notre esprit : il a lu (et apprécié) Asimov, mais il connaît aussi Lovecraft ; le Désespoir a tout de la nouvelle désespérée de l’écrivain de Providence et les monstres obscurs qui parsèment le recueil pourraient revêtir l’apparence de Chthoniens ou autres Sombres Rejetons.

 

Pour finir, Rémi Mogenet dépeint en des strophes aériennes quelques hauts lieux de sa région (la Savoie, Samoëns et Genève)  et n’oublie pas de rendre hommage à David Lynch comme à Teilhard de Chardin, deux figures qui pourraient être les parrains de ce livre enthousiasmant, tant par les thèmes abordés que par la richesse du langage utilisé. Les amateurs de prophéties bibliques comme de Mulholland Drive trouveront leur compte et s’amuseront à décrypter les symboles comme autant de repères sur la route de la Connaissance.

 

Merci pour ce très beau voyage éthérique.

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R
Bon, alors, si le recueil commence par donner l'impression d'être directement mythologique, plus que référencé symboliquement, c'est que j'ai plutôt atteint mon objectif ! Ensuite, Kafka et Lynch peuvent être regardés comme des guides majestueux sur la voie des mystères, des héros du monde moderne ! Mais c'est vrai que, du coup, la coloration est différente.Pour les Aphorismes, il ne m'en reste plus guère, et je vais essayer de le rééditer amélioré et réécrit chez un éditeur plus central, comme on dit plus pudiquement. Plus prestigieux. Néanmoins, cette première édition restera chère à mon coeur, car la couverture est faite d'une peinture que j'ai faite moi-même. Quoi qu'il en soit, il est plein de satire, parfois à demi drôle et à tendances polémiques obsessionnelles (tournant au pamphlet, donc), et parfois franchement mythologique. Je te l'envoie. Tu me donneras les sous si tu veux : il n'y a pas d'obligation. (Pour les lecteurs en général, je crois quand même qu'il en reste à vendre sur Internet.)A bientôt !
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V
En fait, durant les 2/3 de l'ouvrage, j'avais l'impression d'assister à une sorte de conte des origines, du commencement des temps où les dieux modelaient la Terre à l'Age des hommes : il y avait une cohérence qui rejaillissait d'un poème à l'autre. Ensuite, viennent les écrits sur la Savoie, Lynch, Kafka qui morcellent un peu cette impression d'ensemble.D'autre part, il est évident que j'ai aussi été enthousiasmé par le fait que nombre de ces références me parlaient directement.Je jetterai bien un oeil sur tes Aphorismes, je pense me le commander prochainement.
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R
Hum, hum, je ne sais que dire. Merci infiniment. La tendance au symbolisme pouvait aussi renvoyer à Mallarmé, qui a été pour moi un maître. La pointe du sonnet peut être une simple ruse rhétorique, mais tu as bien vu ce que j'ai essayé d'en faire.Pour Thorgal, je l'ai très peu lu, mais la figure que tu évoques est assez connue, et c'est aussi les démons du hasard qui selon les lois du firmament nous mènent, d'Apollinaire, ou Lovecraft, de nouveau. Je m'efforce quand même de parler de réalités (de nature spirituelle, s'entend), et non simplement de combiner des données conscientes. L'impression de mélange vient peut-être de ce que j'ai trop lu, de ce que mon esprit est trop chargé de références ! En fait, j'ai dans l'idée que le souffle lié au rythme imposé par le sonnet lui-même capte vie, chaleur et lumière, et qu'il s'y dessine par conséquent des images. Mais il se peut que dans mon cas, cela retombe dans des cases symboliques trop fermement établies par mes connaissances intellectuelles. Je ne sais pas. A la relecture, mon recueil m'apparaît comme baroque, ou gothique, rappelant davantage la poésie allégorique de la fin du Moyen Âge que l'épique d'Homère ! On ne se refait pas. La seule chose que je puisse dire, c'est que je touche à toutes les traditions symboliques qui ont pu me toucher, sans a priori. C'est réellement apolitique !En tout cas, merci encore. J'essayerai de faire encore mieux la prochaine fois, comme on dit ! Cela dit, mon dernier livre est consacré à la littérature de l'ancienne Savoie : comme elle est en général pleine de merveilleux chrétien, ou médiéval, peut-être que cela peut t'intéresser. Le prochain livre pourrait être encore plus savant et prosaïque, puisque consacré à Victor Bérard, et écrit sous le parrainage d'un professeur d'histoire de l'université de Genève. Mais enfin, Bérard, c'est le traducteur (rationalisant) d'Homère ! Ensuite, je ne sais pas.
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