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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

De l'image hybride au cinéma

Regards sur l’image hybride

Un dossier par TWIN

 

Le photoréalisme dans l’image numérique de cinéma est une notion qui a dépassé ses propres enjeux formels.

Depuis les premières exploitations de ces images dites « bitmap » ou vectorielles – à l’origine vues comme des outils d’aide à la représentation avant de devenir des entités fondues à la chaîne de production –, la recherche constante visant à imiter la réalité est l’une des problématiques dominantes ayant hanté tout cinéaste dans sa quête de la figuration idéale d’espaces et de mondes.

Malheureusement pour le cinéaste en question, le photoréalisme numérique est resté pendant longtemps le Saint Graal de certaines intentions picturales. Ainsi, de la même façon que nous percevons aujourd’hui les trucages optiques d’anciens films, l’effet du temps et la distanciation créent un malaise perceptif quant à la conservation d’une certaine qualité figurative – et d’une fidélité représentative pour la couche numérique par rapport à son modèle iconique – des trucages qui subissent, peut-être plus que tout autre élément au cinéma, le poids du temps et son vieillissement.

Ainsi, si la nostalgie et la cinéphilie patrimoniale jouent énormément dans notre perception et notre appréciation contemporaine des effets spéciaux optiques de certaines œuvres – tout autant qu’une certaine admiration pour le talent et le génie rétrospectif des pionniers – telles que le King Kong de 1933 ou le Citizen Kane d’Orson Welles, bien ancrées dans des pans entiers de notre culture cinématographique occidentale, il peut en être autrement pour les films issus des années 70 et 80, qui témoignaient de la fin prochaine des effets optiques, arrivés alors au maximum de leur achèvement technique et esthétique. Il est probable que la perception spectatorielle envers les effets de ces films – la Guerre des étoiles, l’Empire contre-attaque et le Retour du Jedi en étant semble-t-il les titres phares –, qui expérimentaient beaucoup et donc risquaient d’autant plus leur homogénéité dans le champ, soit devenue moins tolérante devant des effets qui, s’ils paraissaient comme l’avènement du jamais vu à leur époque, peinent aujourd’hui à trouver une quelconque aisance dans leur figuration optique. De cette façon, par le biais de notre œil habitué et sans doute également relativement fatigué par la densité d’effets mis dans le contexte actuel à notre disposition de spectateur, les projections arrière sur plaque d’Aliens : le retour ne jurent-elles pas particulièrement ? Les monstres rotoscopés du Seigneur des anneaux de 1978 ne semblent-ils pas déplacés de l’environnement graphique de l’image ? Et les incrustations optiques des héros dans leur avion par-dessus un ciel nuageux dans Indiana Jones & la dernière croisade n’ôtent-elles pas une certaine crédibilité à la séquence quand les lignes de démarcation entre les couches sont si épaisses et contrastées que le punctum de l’image se veut plus comme le collage optique grossier que comme l’action elle-même ?

La situation est la même pour les films ayant incorporé en leur sein les traitements représentatifs en image numérique. Si la qualité esthétique des portions d’images issues de couches numériques garde étonnement encore à ce jour toute intégrité formelle, notamment dans les cas du robot en métal liquide de Terminator 2, des dinosaures reconstitués de Jurassic Park ou encore du chevalier animé sortant du vitrail dans le Secret de la pyramide, il en est tout autrement pour les films ayant suivi la phase de rupture de cette fin de millénaire, par le numérique, dans les procédés de représentation cinématographique. Ainsi, à l’instar de la perception a posteriori des compositions optiques, certaines figurations numériques vieillissent, et le photoréalisme revendiqué hier quant à sa qualité esthétique ne devient plus aujourd’hui qu’un surprenant souvenir. De cette façon, les animaux de Jumanji ont ceci d’artificiel qu’il est difficile de les regarder autrement que comme des coquilles vides, des modélisations dont la surface cache une absence de « remplissage » intérieur et dont les rendus trahissent l’hybridation douloureuse d’une représentation qui se veut photoréaliste mais qui finit par tenir pour beaucoup du dessin animé. Même chose pour les rajouts numériques des éditions spéciales de l’ancienne trilogie Star Wars : les environnements numériques de Bespin, la cité des nuages, ou de Tatooine, l’astroport perdu en plein désert, ne bénéficient plus, aux yeux d’aujourd’hui, de la même complexité dans la peinture signifiante des mondes imaginés.

L’esthétique de la représentation des espaces au cinéma n’en finit pas pour autant en statu quo : il est plus que probable que, dans quelques années, notre vision des œuvres, encore plus performantes et riches aux yeux, sera tronquée par le renversement inévitable des normes qualitatives pour des figurations et un niveau de traduction indicielle encore plus exigeants.

C’est un mouvement perpétuel qui s’inscrit dans une évolution technique logique, hyper dépendante de ses conditions de production.

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V
Plaisir partagé, mon cher ! Il y a quelques références que je vais peut-être relire, tiens.
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T
Il me dit quelque chose ce bouquin. J'ai du en lire une partie il y a quelques années. Ah, le bon vieux temps de la fac... Profites-en bien tant que tu y es encore !
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J
De mon côté, je peux vous dire que ça me fait plaisir de lire des commentaires de gens aussi passionnés de cinéma... et de Blade Runner! ;-) Je vais essayer de continuer à écrire un peu sur ces sujets passionnants, mais là, le temps va manquer car c'est sur mon mémoire que je dois écrire... Cet article et ces commentaires m'ont permis de me remettre au boulot puisque, comme je l'écrivais, mon sujet y est directement lié. Je vous conseille, si vous ne l'avez pas lu, de lire l'excellent De Tron à Matrix, réflexions sur un cinéma d'un genre nouveau, actes du colloque des 2, 3 et 4 février 2004 à la Cinémathèque de Toulouse (sous la direction de Ludovic Graillat, CRDP Midi-Pyrénées) qui m'a vraiment permis de réfléchir sur toutes ces questions. C'est un peu opportuniste, car ils ont fait ce colloque juste après la sortie du 3ème volet de Matrix... mais ce n'est pas grave, c'est très intéressant! Ce livre regroupe différentes interventions sur le thème de l'hybridation des images et des média, que ce soit cinéma/jeux vidéos, animation/cinéma live, 2D/3D, littérature/cinéma, peinture/cinéma... C'est l'un de ses chapitres qui m'a donné l'idée d'orienter ma recherche sur le baroque : Angela Ndalianis parle de Matrix Reloaded comme exemple de cinéma "néo-baroque" en comparant certains plans avec la peinture en trompe-oeil, etc. Je me suis penché sur les adaptations de Philip K. Dick en ce sens. Sur ce, justement, je vais vous laisser!  Mais, comme a dit Christine Albanel après avoir remporté sous son bras sa loi HADOPI, "I'll be back!"...
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T
Je crois que tu as raison, Vance.
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N
Oui d'autant plus que dans la même phrase j'ai pu lire rencontres du troisieme type .... En tout cas la conversation est passionante. Faudra -juste pour rigoler un peu- que je retrouve ma rédaction de 3eme où il fallait décrire un de ses hobbis: j'avais fait un dossier sur les effets spéciaux parcequ'à ce moment là je voulais devenir monteur truquiste .... Continuez d'écrire ;)
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V
Fascinant (comme dirais Spock) ! En outre, en évoquant Blade Runner tu as sans doute fait encore plus monter l'intérêt de ce cher nico - et le nôtre !C'est bien pour Toy Story  que Pixar a développé un logiciel capable de retranscrire l'effet de vitesse en floutant les objets environnants, non ?
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J
Bien sûr Nico ça existait déjà, mais c'est beaucoup plus difficile pour des programmateurs et des ordinateurs de simuler des "accidents" comme ceux que tu cite que de faire un rendu parfaitement lisse... C'est pour ça que Pixar a fait des films sur des jouets, des insectes avec des carapaces dans un environnement tellement gros qu'il paraît rigide, des poissons, des volumes qui sont beaucoup moins perturbés par l'environnement et les mouvements que ceux qui composent les êtres humains. Pareil pour les mouvements de caméra, au début, avec l'excitation du moment, on exaltait les mouvements impossibles parfaitement exécutés, avec une profondeur de champ quasiment toujours parfaitement nette... Aujourd'hui, on veut au contraire donner l'illusion d'une vraie caméra avec toutes ses limites! Avant, ils essayaient de faire les "accidents" qu'on voit aujourd'hui et qui créent "l'effet de réel", mais les techniques n'étaient pas suffisamment au point. En fait, la base de la création volontaire "d'accidents" (halos de diffraction par l'objectif par exemple) dans les images de synthèse, ça vient je pense du travail de Douglas Trumbull sur Rencontres du 3ème type et Blade Runner, avec l'enfumage des maquettes pour créer une atmosphère miniature, ce qui permet à la lumière de se diffuser comme dans un brouillard léger. Cool, ça permet aussi de masquer les défauts des maquettes! Et surtout, on voit (même dans des plans en mouvement avec de nombreuses couches d'images différentes) des halos de lumière qui donnent l'impression d'une lumière très puissante, et qui nous disent inconsciemment qu'il y a une caméra qui est éblouie, donc que c'est réel. Grâce au motion control, ils pouvaient superposer ces couches de lumières sur les véhicules en mouvement, chose impossible avant! Puisque tout est filmé séparément, ce qui n'est guère plus réel en fait que les images de synthèse. Mais avant de faire le rendu de la ville de Blade Runner en 3D, il en a fallu du temps! Les maquettes sont concurrencées par la 3D uniquement aujourd'hui! A bientôt!
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N
Je suis d'accord, c'est interessant, mais alors: Dès le début des images de synthèses on a cherché à reproduire le réalisme, l'effet tournage: à coup de "rayons de soleils", "effets d'ombres, de poussières soulevées ....", "image qui "percute" la caméra". Certes c'est flagrant dans wall.e. On diminue l'effet numérique, le "détaillé", on a d'avantage de moyens, mais je pense que la volonté de rendre cet effet a toujours été présent.
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T
Ah oui, ne dévoile pas ton mémoire ici, ce serait un peu dommage ! En tout cas, nos problématiques sont assez proches. Le jeu du regard inversé (salir l'image numérique) est en tout cas très pertinent.
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V
Wow, on sent le passionné, et c'est passionnant ! Reviens quand tu veux !
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