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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Restaurer un film, est-ce le dénaturer ? - 01

Restaurer, est-ce dénaturer ?

 

Une discussion entre Millénaristes



1er VOLET

 


Nico

 

A la demande de Vance, je pose un petit (?) débat. 

 

Suite à la critique de Twin de la Belle au bois dormant, qui, après en avoir discuté avec des professionnels, trouve que l'image restaurée trahit en quelque sorte l'aspect celluloïd (et la fait même ressembler à une image "Quick Time", je pense qu'on connaît tous ce que cela représente), quelques interrogations sont apparues... Parmi celles-ci :

 

Un film restauré avec une nouvelle technique est-il dénaturé ? Un film restauré doit-il avoir l'aval du réalisateur ? Que faire pour un vieux film, qui a le droit de choisir à la place du réalisateur ? Un film doit-il être restauré (je veux dire par là : regardez la Belle au bois dormant, les visages des personnages d'arrière-plan ont été dessinés, ils n'existaient pas avant, la HD contraint a un certain degré de détails ou non ?) ?

TWIN

Je dois quand même faire un mea culpa pour avoir qualifié le rendu de la copie haute définition du Blu-ray de La Belle au bois dormant d’image « Quick Time » (autrement dit une image lisse, au rendu vidéo). C’était y aller un peu fort, surtout qu’un joli grain et une texture celluloïd restent dominants. C’est sans doute le contraste provoqué par la qualité littéralement « extraordinaire » (au sens « supérieur » au statut d’origine) de la restauration qui m’amène à un tel désaveu.

Il est clair que ce n’est de toute façon pas un film que je connais par cœur, bien au contraire. Pourtant, le voir présenté avec une beauté d’image toute contemporaine m’a profondément gêné.  

Un film doit, s’il le peut dans de bonnes conditions (techniques, financières), être restauré. Les œuvres majeures, qui ont un poids au sein du patrimoine cinématographique, ont un besoin de préservation.

C’est bien cette optique de préserver qui me semble la plus pertinente. L’idée n’est pas de présenter le film dans un niveau plastique supérieur, mais d’en conserver le fragile et complexe statut optique d’origine. Les intervenants sur l’édition BD de La Belle au bois dormant ne cessent de répéter que le film « n’a jamais été aussi beau » ou « qu’il n’a pas encore été vu sous cette forme » (combien de gens ont pu voir le film en copie 70mm 2.55:1 dans les années 50 ?). On en vient donc à proposer une œuvre qui va au-delà de son enveloppe initiale d’exploitation plastique.

A mon sens, les restaurations idéales sont celles qui relèvent d’une remise en contexte, plus du nettoyage en quelque sorte, telles que celles de Spartacus, Lawrence d’Arabie, Sunset Boulevard ou Casablanca.

La question de dénaturer ou non le film restauré dépend fortement de la technique utilisée. Doit-on par exemple forcément appliquer des filtres automatiques gommant, parfois à l’excès, les scratches ou salissures de l’image, au risque d’en retirer des éléments filmiques qui ne relèvent pas d’un défaut du temps qui passe ? C’est épineux quand le réalisateur n’est plus là pour valider le produit (ou s’il est là et qu'il n’a pas l’envie et/ou la capacité de jauger).

Je n’avais pas connaissance de l’anecdote sur les visages redessinés des personnages en arrière-plan, et je trouve cela plutôt préjudiciable par rapport à ce que je viens d’expliquer. C’est un inconvénient involontaire de la HD mais qui devient de plus en plus préoccupant par le surcroît de détail. Quid de tous les caches de matte paintings pour les films anciens qui vont jurer dans le champ en HD ?

On en viendra à dévier sur l’éternelle réflexion de l’artiste qui revient retoucher son tableau exposé au musée et se fait jeter par un gardien. Lucas a-t-il raison de retoucher Star Wars ? Sans doute : ça lui appartient et ça continue de faire vivre les films. Mais non s’il ne laisse pas la copie d’origine cohabiter avec son dérivé le plus récent.

Malheureusement, l’obsession de l’intégrité reste de toute façon un peu vaine. Même si du côté de l’émetteur toutes les conditions sont réunies pour une exploitation cohérente et idéale, qu’en est-il du côté du récepteur ?

La réception objective implique que la moindre variation dans le matériel utilisé et dans les réglages de ce même matériel (couleur de l’amplificateur audio, texture des enceintes, échelonnage des aigus/médiums/graves, calibrage de l’écran, sensibilité du lecteur, etc.) amène une expérience relativement différente de l’expérience d’origine qu’en a voulu le réalisateur. C’est dompter l’œuvre à sa convenance.

La réception subjective implique les goûts, l’état d’esprit ou tout sentiment que l’on rattache à un visionnage, et qui peut en changer le vécu. 

J’ai bien peur que le bout de la chaîne, autrement dit « nous », spectateurs, soit le moment où l’expérience filmique est la plus dénaturée. En un sens, on devrait systématiquement préciser nos conditions de visionnage lorsque l’on parle d’un film…

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N
Pas tout à fait d'accord. Je pense que sur un tournage chacun a sa place tout en travaillant main dans la main avec les autres... en général de toute façon il y a toujours un concensus entre réalisateur et chef op (qui est souvent choisi par le réal).Pour moi l'aspect de l'image, l'étalonnage, la lumière, sont l'affaire du chef op, sur des recommandations du réalisateur.
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N
Sans vouloir rentrer dans les détails je pense que c'est au réalisateur de diriger le directeur de la photo. Sinon, oui, si on est habitué à voir un film dans certaines conditions, il est évident que cela peut faire perdre en magie, mais également l'inverse. Le  cas de grindhouse est assez marrant. Le but de la restauration est souvent de montrer le film comme lors de sa diffusion ciné. Peu importe la qualité du film que nous, spectateurs, connaissons ou avons l'habitude d'avoir.  
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V
En attendant la suite du débat, je reviens sur le spropos de Niko : et si le directeur de la phot et le réalisateur avaient des vues diamétralement opposées sur leur idée de la restauration ? Ca s'est vu, et tout récemment encore.
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T
Bah, pourquoi ? Je suis d'accord sur le fait que l'oeuvre appartient à son auteur. Je ne dirai jamais la même chose par rapport au public, mais on ne peut nier qu'il a un poids affectif et symbolique dans le regard qu'un auteur peut/doit porter sur son oeuvre.
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N
Alors pour ma part je suis pour. En effet ce que j'aime profondément dans le cinéma c'est l'image, et voir un film en VHS enregistré lors d'une diffusion TV par exemple (pour vraiment prendre un extrême) ça me gâche complètement le visionnage. En cela une restauration permet d'avoir une image "propre" car à l'origine, et c'est même valable pour TCM, lors des premières diffusions en salles ça m'étonnerait que la copie comportait déjà des traces et rayures...Après c'est vrai que quand on tombe dans de la déterioration sous couvert d'amélioration c'est un problème! Star Wars retouché par Lucas je veux bien... c'est vrai que s'il avait eu les outils d'aujourd'hui à l'époque il les aurait surement déjà utilisés... mais je suis d'accord que quand on a l'habitude de voir un film dans certaines conditions, une fois qu'elles sont améliorées ça enlève une part de magie.Mais dans tous les cas, je crois qu'à partir du moment où c'est soit le réalisateur soit le directeur de la photo qui supevise la restauration, on n'a rien à redire. Pour moi une oeuvre appartient à son créateur et non à son public... j'ai peut-être tord.
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V
C'est clairement le noeud du problème, Wade. C'est précisément à cause de ce que tu as soulevé que le débat a été lancé. Tu verras par la suite que tu n'es pas le seul à t'inquiéter, mais qu'il y a aussi des arguments solides en faveur d'une restauration, à condition qu'elle soit intelligemment menée, de façon cohérente avec l'esprit de l'oeuvre. Seulement, celui-ci n'est pas toujours partagé par tous et en résultent des problèmes liés à une interprétation différente.
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W
Selon moi, un tel procédé de retouches doit être effectué de manière très précautionneuse. Il s'agit en fait de nettoyer les dégâts que peut causer le temps sur la pellicule, mais pas de réajuster l'image ou encore moins de la recomposer. Le problème actuel que cause l'évolution des moyens techniques cinématographiques est justement de refaire ce qui ne pouvait pas être fait hier. Que Lucas décide de rajouter des personnages dans les premiers Star Wars ou de modifier les arrières-plans, ça me gêne. Je trouve qu'une oeuvre doit rester telle qu'elle a été présentée initialement, et que les imperfections et les limites techniques de l'époque procèdent du charme de cette oeuvre. Reprendre un film vieux de 30 ans pour le retoucher est vraiment un mauvais choix selon moi. En ce qui concerne La Belle au Bois dormant, l'image vieillie fait partie de l'oeuvre tout comme les craquements sur un disque vinyl. Quand on regarde les réalisateurs actuels qui cherchent à recréer la tonalité visuelle 70's d'oeuvres comme Massacre à la Tronçonneuse ou Délivrance (je me suis un peu éloigné de Disney!), il s'agit simplement d'un respect d'une époque révolue que l'on peut clairmeent identifier. Et le grain si particulier de l'époque fait partie intégrante de l'ambiance du film. Donc pour faire court, les retouches, c'est pas terrible, sauf s'il s'agit simplement de redonner à l'oeuvre son aspect initial.
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